Approcher la notion du pardon avec l’aide de la Communication non violente (CNV)
Si l’intention de vouloir pardonner nous habite, notamment en tant que chrétien, parce que nous avons conscience de son pouvoir libérateur, elle peut être source de violence s’il n’y a pas. en parallèle véritable reconnaissance de ce qui a été blessé. Pour Marshall Rosenberg, créateur de la Communication non violente (CNV*), cc le pardon ne se décrète pas, c’est le fruit d’un processus d’empathie. Quand chacun s’est senti suffisamment entendu dans sa souffrance et compris dans ses besoins les plus profonds, il n’y a plus rien à pardonner».
« EN NOUS APPRENANT À RECONNAÎTRE NOS BESOINS ET CEUX D’AUTRUI, LA DÉMARCHE DE LA CNV NOUS OUVRE À D’AUTRES MANIÈRES DE LES SATISFAIRE »
Le pardon ne se décrète pas veut dire que nous ne pouvons pas exiger de nous-même de pardonner, ni de l’autre qu’il ou elle nous pardonne. La CNV nous met en garde vis-à-vis de toutes les formes d’exigences « Il faut pardonner, tu dois ou je dois pardonner » qui ne respectent pas le rythme et les étapes de la guérison. Nous avons d’abord besoin d’une reconnaissance sincère et profonde de la blessure qui a été réveillée en nous. C’est ce que recouvre le terme d’empathie : une présence totale à ce que ressent la personne dans le moment présent, et à ce qui est en jeu pour elle (ses besoins, ou aspirations), sans aucune intention de lui faire de remontrances.
Par exemple, nous pouvons avoir besoin de partage, de reconnaissance, de confiance, de réalisation, de communion… Admettre le caractère universel des besoins et avoir conscience que chaque être humain fait de son mieux à chaque instant pour satisfaire des besoins (c’est un des postulats de base de la CNV), contribue à notre capacité d’empathie, de compassion – sans pour autant chercher à se justifier. En nous apprenant à reconnaître nos besoins et ceux d’autrui, la démarche de la CNV nous ouvre à d’autres manières de les satisfaire, parfois moins nuisibles pour autrui et pour nous-même que celles que nous utilisons souvent par réflexe. Quelque chose se transforme en profondeur, naturellement.
J’illustrerai ci-après successivement l’étape :
-où la souffrance de la personne blessée est reconnue
-où le pardon s’accorde naturellement, en conséquence d’un certain cheminement.
par le biais de l’histoire d’un couple, Frédéric et Elisabeth, venus au décours d’un voyage pendant lequel Frédéric a passé beaucoup de temps avec les autres femmes du groupe, et plaisanté avec elles. Même après lui avoir exprimé son désarroi, elle ne voit pas le comportement de son compagnon changer véritablement et sa jalousie grandit. Je la verrai seule dans un premier temps et les premières séances sont consacrées à écouter sa colère et sa tristesse de s’être vue quémander de l’attention. Peu à peu émergent ses besoins de partage, confiance, intimité. Elle lui propose ensuite une séance commune, dont voici quelques extraits :
1) L’étape où la blessure vécue est reconnue par une écoute empathique
La compréhension intellectuelle de la blessure ne suffit pas. Un « Je te prie de m’excuser » est trop superficiel. C’est l’acte d’écouter qui va démontrer notre intention de nous faire pardonner. Nous pouvons avoir d’abord besoin de nous pardonner à nous-même avant d’être dans cette disponibilité pour l’autre.
Dans le cas de ce couple, Frédéric (F), ayant pris la mesure de la souffrance de sa compagne Elisabeth (E), était d’accord pour commencer par l’écouter, avec mon aide. Le cadre avait été posé : tour à tour ils se donneraient un «accusé de réception» (ou reformuleraient ce qu’ils avaient compris), pour que chacun se sente compris
E : «Quand je repense à notre voyage à Bali, je suis profondément ébranlée, car je m’attendais à ce que nous passions la plus grande partie du temps ensemble, pour nous retrouver. Or, tu étais le plus souvent avec d’autres. Depuis je suis pleine de doutes sur ton amour. Tu veux bien me dire comment tu comprends ce qui a été si dur pour moi ? »
F : «Je comprends que le fait que j’aie passé beaucoup de temps avec les personnes du groupe, en particulier des femmes, t’a blessée, car tu t’attendais à ce que je reste tout le temps avec toi. Tu te demandes si je t’aime vraiment, c’est ça ? »
E : «Oui, j’ai des doutes, j’ai besoin d’être rassurée sur l’amour que tu me portes. Nous retrouver était l’intention de notre voyage, t’en souviens-tu ? c’était humiliant pour moi que tu sois la plupart du temps avec les autres femmes, j’ai besoin d’attention, de sentir que notre relation est une priorité. »
F : « Oui, j’entends que tu t’es sentie humiliée, que tu avais besoin de considération, de tact, et aussi de sentir que notre relation est aussi une priorité pour moi ? »
E, émue : «Oui, c’est tout à fait ça – et puis je n’arrive pas à te comprendre…» F : «Tu aimerais comprendre ce qui s’est passé pour moi ?
E : «Oui, d’autant que ce n’est pas la première fois que je te vois ainsi avec d’autres, quand nous sortons ensemble.»
F : « Te sens-tu disponible pour m’écouter à ton tour ? »
E : « Oui. »
(Vient à présent l’étape où F «fait le deuil » de son comportement)
F : « Je suis ému de prendre la mesure de ce que tu as vécu pendant ce voyage et que ça a été une humiliation pour toi, et je suis triste de ne pas l’avoir compris pendant le voyage, j’aurais aimé t’épargner cette épreuve… »
A ce stade, après nous être senti(e) profondément compris (e), nous pouvons tourner notre regard vers l’autre, parce que nous avons envie de saisir ce qu’il se passe pour lui/elle.
2) Pardonner à autrui – accorder son pardon, survient pendant que l’on se met à l’écoute de ce qu’il s’est passé pour l’autre
F : « Mais j’étais tout excité pendant le voyage ! J’aime rencontrer les autres. C’est vrai que l’on y allait pour se retrouver, mais on avait du temps pour nous le soir et le matin dans la chambre. »
E : « Si je comprends bien, pour toi, quand nous sommes en voyage, c’est important de profiter de la présence des autres personnes»
F : « Oui, j’ai besoin de partage. Tu trouves ça bien, les couples repliés sur eux ? »
E : « Tu as à cœur que les personnes seules se sentent incluses ?
F : « Oui, et je trouve que nous n’échangeons pas beaucoup quand nous sommes ensemble, j’ai un peu l’impression que tu veux m’accaparer… »
E (après un temps de silence pour accueillir l’émotion suscitée par cette parole: « Tu aimerais que les moments passés ensemble soient nourrissants, pas juste destinés à me rassurer ? »
F : « Oui, plus je captais ton insécurité et ta jalousie, plus ça m’éloignait de toi ! »
E (touchée) « c’est vrai que j’ai besoin d’être rassurée, quand je te vois au milieu de toutes ces femmes. Comment croire que je compte plus qu’elles ? Mais je peux comprendre que tu ressentais de la pression, et que tu ne voulais pas renoncer à ta liberté, c’est ça ? »
F : « Oui, j’ai très peur de perdre ma liberté… »
(Silence mutuel)
F : « Et puis je trouve que l’on ne se parlait pas forcément, quand on était assis l’un à côté de l’autre. »
E : « C’est vrai. Mais même en silence, ça a du sens d’être assis à côté, pour laisser émerger la rencontre entre nous. Tu ne crois pas ? »
F : « Si, cela me parle. »
……………
Peu à peu, chacun(e) a pris conscience de ses blessures, de la nécessité d’en prendre soin pour dégager l’autre de la responsabilité de pallier à tout. Elisabeth a pu travailler son insécurité, son manque de confiance en elle. Frédéric de son côté a pu voir son ambiguïté dans sa relation aux femmes, sa peur d’être enfermé dans son couple. J’insiste sur l’importance de s’en donner le temps et les moyens nécessaires. J’ai vu trop de couples se séparer après des années, parce que l’un(e) qui croyait avoir pardonné l’infidélité de l’autre, par exemple, était resté(e) profondément meurtri(e) dans sa confiance.
Dans le couple, le chemin de pardon est chemin de rencontre. L’empathie que nous offrons à celle ou celui que nous avons blessé(e) nous permet de voir sa réalité profonde, par-delà les critiques ou les reproches qu’il ou elle a pu nous adresser. L’empathie que nous recevons de celle ou celui à qui nous avons fait mal sans le vouloir nous aide à mieux nous comprendre, sans tomber dans une culpabilité enfermante. Au bout du compte, on se rapproche de la beauté et de la fragilité de chacun(e).
1- Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, Marshall Rosenberg et Gabriele Seils, Ed. Jouvence
Pascale Molho (pascalemolho.com) est membre de l’Association pour la Communication NonViolente (ACNV) site web nvc-europe.org